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« L’école est et demeure le premier mari de la fille », Kossenda Bouba, sociologue (Dossier 3/3)

La scolarisation des filles constitue un réel défi auquel l’on doit se soucier. La sociologue Kossenda Bouba s’est appesanti de long en large sur les enjeux et les solutions du phénomène en vogue malgré les mesures prises par les plus hautes autorités.

L’Info : Quelles sont les conséquences de la déscolarisation des filles au sein d’une société, et surtout dans un pays comme le Tchad ?

Avant de rentrer dans le vif du sujet, je me dois l’obligation d’éclairer sur la notion déscolarisation. C’est la façon de ne plus scolariser, ne plus envoyer un enfant à l’école, ne plus lui faire fréquenter le milieu scolaire…Et pourtant un adage populaire dit : « Eduquer une fille c’est éduquée une nation » ; ayant un niveau intellectuel requis elle (la fille) a la chance d’exercer n’importe quel métier que ce soit. Cet avantage contribue à subvenir au besoin familial et sociétal. Lorsque cette dernière n’a pas eu la chance d’être scolarisée ou simplement retirée du milieu scolaire, les conséquences qui en découlent seront évidentes. Je le dis sans ambages que la déscolarisation des filles a pour corollaire l’analphabétisme (absence d’instruction, pas de niveau de raisonnement), le mariage précoce (les parents jugeront mieux d’aller en mariage que de rater deux fois), la délinquance juvénile (tendance à ressembler aux stars, tendance à s’adonner à l’alcool, absence de contrôle parental), l’exode rural (l’eldorado se trouve en ville), les grossesses non désirées (la recherche du gain facile par la prostitution). En somme, je dirai que la non-scolarisation des filles présente de graves conséquences sur la vie des filles, mais aussi sur le développement de leur communauté et de leur pays tout entier.

Comment peut-on venir à bout de ce phénomène ?

L’éducation des filles est un formidable instrument de lutte contre la pauvreté. Il faut lutter contre l’inégalité pour permettre aux filles de se construire un avenir pour devenir des femmes capables de relever le défi familial et sociétal. Pour arriver à bout de ce phénomène, je propose ce qui suit :

-La sensibilisation des filles (elles-mêmes), les parents, les communautés à l’importance de l’éducation des filles ;

-Le gouvernement tchadien doit continuer avec la gratuité des scolarités pour les filles, promouvoir les textes nationaux et internationaux sur la protection de la petite enfance et appliquer les textes légaux par exemple, la disposition de l’article 369(code pénal tchadien) pour sanctionner les parents qui refusent d’envoyer leurs filles à l’école ;

Les établissements scolaires devraient mettre en place des séances d’éducations sexuelles permettant aux filles d’être vigilantes face aux avances tordues des hommes et créer des opportunités d’apprentissage sur l’égalité et l’équité du genre à travers les groupes de travail ;

-Les ONG présentes au Tchad et travaillant sur les aspects de l’éducation et des jeunes filles doivent accentuer la sensibilisation sur l’importance de l’éducation des filles et faire des plaidoyers auprès du gouvernement par la création d’un cadre juridique adapté pour la protection de la petite fille.

Pourquoi, malgré les multiples campagnes de sensibilisations et actions pour rehausser le nombre des filles au niveau supérieur, le mal persiste ?

Le mal persiste parce que plusieurs facteurs entravent l’accès à l’éducation des filles, nous pouvons énumérer les plus poignants :

Les traditions culturelles : dans certaines familles, les filles sont considérées comme un fardeau pour les parents. Leur éducation n’a donc aucune importance car leur destin est d’être mariées jeunes et de s’occuper des tâches ménagères et des enfants ;

La pauvreté : les familles en situation d’extrême pauvreté ne peuvent subvenir aux frais de scolarité de leurs enfants, et si elles le peuvent, elles font souvent le choix de scolariser leurs garçons plutôt que leurs filles ;

L’ignorance des lois et du droit : dans certains pays les violations des droits des filles sont répandues et normalisées que les sanctions sont rares ;

Les mariages précoces et forcés : généralement les filles sont mariées à l’âge de moins de 18ans. Elles sont déscolarisées pour subvenir aux besoins de leur mari, s’occuper des tâches ménagères et des enfants. Les mariages forcés maintiennent les filles dans un statut inférieur à l’homme ;

Les grossesses précoces : elles contraignent les adolescentes à quitter l’école, elles sont les conséquences des mariages précoces et forcés, des violences sexuelles et du non-accès à la contraception.

Ces filles déscolarisées sont de plus en plus nombreuses au Tchad, quelles sont les stratégies qu’il faut adopter pour les accompagner, les aider à s’auto-suffir ?

Si seulement le pays disposait assez des centres professionnels d’apprentissages des petits métiers, ces filles allaient apprendre une activité qui pourraient les rendre autonomes financièrement. Il ne faudrait pas occulter que les maisons ou centres de micro finance peuvent s’intéresser à cette question par l’octroi des microcrédits sans intérêt pour les lancer. En dernier ressort, les familles, la société peuvent encourager ou convaincre ces filles déscolarisées à remettre le chemin de l’école.

Quelques conseils donneriez-vous aux filles qui sont sur le point d’abandonner les études ?

Etant une fille et qu’on est appelée à devenir une mère et un futur cadre, il faut aimer l’école pour que les enfants soient bien éduqués et encadrés. Je leur dirai qu’abandonner l’école leur maintiendrait dans le statut infériorité à celui des garçons car, sans école la fille aura plus de mal à faire entendre sa voix, marginalisée, elle ne pourra s’exprimer, prendre les décisions qui concernent son corps et sa vie, participer activement aux prises de décisions de la société dans laquelle elle vit et avoir un rôle en tant que citoyenne. Bref, l’école est et demeure le premier mari de la fille.

Dossier réalisé par: Florent Baïpou, Noukoumon Salomon et Florisse Hormon

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