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ZES: « Le défi d’ordre méthodologique est majeur », Mme Amma Abderahim Ndiaye, Docteure en Economie

Le Tchad entend mettre en place des Zones économiques spécialisées (ZES) dans plusieurs localités à savoir N’Djaména, Sarh, Moundou et Am-Djarass, Ati et Dourbali. La phase pilote concerne N’Djaména et Moundou. Au lieu que les populations jubilent, il y a de l’inquiétude dans l’air. L’inquiétude liée à l’accaparement des terres, à la gestion des retombées financières ainsi qu’à l’impact environnemental et socio-économique. Pour éclairer la lanterne des citoyens, Mme Amma Abderahim Ndiaye, Docteure en Economie, Experte en Economie du développement, explique le concept et ses implications.

L’Info : Madame, en tant que spécialiste, quels sont les avantages d’une zone économique spécialisée pour le Tchad ?

Une ZES est d’abord une étape importante vers l’industrialisation et la diversification sectorielle. Ce qui nous permettra d’asseoir notre croissance sur une base plus pérenne et réduire notre dépendance à l’égard des industries extractives qui reposent sur des ressources non renouvelables.

Par ailleurs, l’industrialisation fait partie des meilleures stratégies de réduction de la pauvreté grâce à la création d’emplois et la génération de recettes fiscales pour l’Etat même si cela ne va pas sans un certain coût pour l’environnement.

Elle permettra la création d’emplois stables dans les usines et tous les services connexes. Cela pourrait représenter une solution face à l’afflux de diplômés dans la mesure où la capacité d’absorption de la Fonction Publique est limitée.

Au-delà du progrès économique, ces zones permettront également le progrès technologique (transfert de technologie, amélioration des connaissances) et l’attrait des Investissements Directs Etrangers (IDE).

Quelles sont les conséquences de l’emplacement des zones économiques où sont transformées les matières premières rares ou en provenance de régions très éloignées ?

Le choix de l’emplacement présente un enjeu majeur, de même que le ciblage des secteurs et des investisseurs. Les zones doivent être les moins enclavées possibles et doivent présenter des conditions propices au succès. Les caractéristiques d’une ZES dépend du niveau de développement des pays. C’est la pertinence de l’orientation stratégique prenant en compte les circonstances de lieu et de temps qui détermineront  la réussite des projets.

Dans un premier temps, on gagnerait à nous focaliser sur les produits dont la matière première est facilement disponible au niveau local ou régional par souci de compétitivité et de rentabilité.

Les populations de Moundou s’inquiètent dès l’annonce de cette nouvelle. Selon les normes, comment doit-on procéder ?

L’implantation des projets industriels dans une zone donnée est souvent liée à des préoccupations légitimes des populations locales. Comme vous le savez, ces préoccupations reposent souvent sur les déplacements des populations (lorsque cela est nécessaire) et à l’impact environnemental d’une manière générale. Pour ce faire, la première des choses à faire est de mener une étude d’impact environnemental et social du projet. Cela permettra de prendre en compte les externalités négatives du projet. Mais il ne faut pas  oublier que les projets présentent  également des externalités positives pour ces mêmes populations en termes de création d’emplois, d’amélioration du pouvoir d’achat et d’amélioration des infrastructures…
Pour que les impacts économiques soient visibles et transformateurs, que doivent faire les différents acteurs en place à savoir les populations, le gouvernement et les entreprises ?

Pour la réussite de ces ZES, les parties prenantes ont chacune leur partition à jouer. Je considère que les populations doivent vouloir le développement, ce changement comme vous le dites. Elles peuvent concourir à la réussite de ces projets en tant que réservoir de main d’œuvre essentiellement. Le gouvernement doit prendre les mesures favorables aux affaires et mettre en place les conditions propices à la réussite de ces zones. Celles-ci doivent bénéficier de : infrastructures de qualité (disponibilité hydrique, énergétique, services de transports, développement du chemin de fer à moyen terme peut-être un atout de taille, télécommunications de qualité et à coût faible) ; disponibilité des terrains ; simplification des procédures administratives ; politiques fiscales et douanières incitatives ; protection des Biens et des personnes (justice forte). Les entreprises doivent promouvoir les bonnes pratiques de gestion. Elles doivent être regardantes sur les aspects suivants : économie des coûts, compétitivité -Marketing-recherche de débouchés et des circuits de distribution -innovation-recrutement efficace-renforcement des capacités du personnel.

Pourquoi selon vous, les projets industriels au Tchad n’atteignent pas souvent les résultats escomptés ?

Le défi d’ordre méthodologique est majeur. Cette démarche requiert l’implication de plusieurs experts dont les économistes et la réalisation de diverses études préalables qui dépendent de la spécificité du projet (étude de faisabilité, étude de marché, étude d’impact environnemental et social etc.). Il faut également une communication très active sur les produits, intégrer divers circuits de distribution et surtout avoir un management de qualité.

En ce qui concerne ce dernier point, on ne devrait pas hésiter à lancer un avis de recrutement à l’échelle régionale ou internationale afin que le projet soit piloté par un manager rompu dans le domaine considéré. Cela permettra non seulement de bénéficier de sa longue expérience et de son réseau pour mener à bon port le projet, mais également une gestion efficace et efficiente du projet. Beaucoup de structures nouvelles n’atteignent pas leur vitesse faute de pilote expérimenté entre autres.

Il faut également des politiques économiques adaptées pour accompagner le mouvement pour permettre la compétitivité des produits et la rentabilité des projets. Les initiatives d’industrialisation post-indépendance pour ne citer que celles-ci, ont échoué faute de politiques économiques et publiques idoines.

En amont et en aval, que faut-il faire pour que les populations locales tirent vraiment profit de l’exploitation des ressources par les entreprises implantées sur leurs terroirs ?

Ces populations tirent naturellement profit de ces projets. D’abord grâce à la création d’emplois issus des industries elles-mêmes mais également des services connexes. Par ailleurs, les politiques publiques redistributives peuvent également être une option. Dans ce cadre, on pourrait s’inspirer des plans de développement locaux en phase avec les aspirations de ces populations, pour réaliser quelques ouvrages. Cependant, il faut que la rentabilité soit au rendez-vous, pour cela, nous devons tous soutenir ces projets (populations, experts, états et autres parties prenantes).

Bien souvent, la croissance économique n’apporte pas grand-chose aux conditions de vie des citoyens. Quelles en sont les raisons ? Quelles approches adopter pour changer cette donne ?

Tout d’abord, il faut noter qu’une croissance économique qui découle des exportations de matières premières agricoles ou extractives, n’aura pas le même impact social qu’une croissance issue de l’industrie manufacturière. C’est un problème lié à la structuration de la croissance économique. L’industrialisation est la base la plus pérenne du développement et son impact sur les conditions de vie des populations est réel grâce à la création d’emplois stables, à la distribution de pouvoir d’achat et aux politiques redistributives induit(e)s. Elle permet l’autonomisation des couches rurales vulnérables (jeunes, femmes, ouvriers moyennement qualifiés).

Quelles solutions proposez-vous pour faire face à cette inflation qui gagne le monde en général et le Tchad en particulier ?

Généralement, les Etats utilisent le levier monétaire pour agir sur l’inflation. Mais cela relève de la politique monétaire qui relève des politiques régionales. Une tendance à la hausse du taux d’intérêt se met en place ci et là, en prévision de l’inflation annoncée. D’un autre côté et de façon pragmatique, il est possible de lutter contre l’inflation en agissant sur l’offre.

Interview réalisée par Florent Baïpou

 

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