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« Avant d’attendre les touristes, les Tchadiens doivent découvrir leur pays », Pr Baba Mallaye

Peu connu, mal valorisé et peu visité, le Centre national de recherche pour le développement(CNRD), ce haut lieu du savoir somnole depuis quelques années. Pourtant, il regorge des documents scientifiques et techniques, des fossiles et reconnus et appréciés sur le plan international. Son Directeur général, Pr Baba Mallaye lève le voile sur ses missions, ses réalisations et attentes.

L’Info : Quelles sont les missions assignées au CNRD ?

Pr Baba Mallaye : Entre autres missions, nous sommes appelés à classer les sites naturels, culturels et les biens immatériels de notre pays sur la prestigieuse liste du patrimoine mondiale de l’humanité. Nous avons aussi le service Télédétection et Système d’information géographique qui réalise toutes les cartes thématiques de notre pays notamment les cartes administratives, économiques, celles des voies routières et topographiques. Il y a également la possibilité de traiter, d’interpréter et d’analyser toutes les imageries de terre. Dans ce domaine, le CNRD est un centre de référence. Le centre est statutairement dépositaire en matière de documents scientifiques et techniques de notre pays. Il y a aussi la littérature grise composée des mémoires qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Le  Centre édite la revue scientifique du Tchad. Une revue de toutes sciences confondues, des articles des chercheurs tchadiens et étrangers exerçant dans notre pays. Nous éditons un bulletin mensuel appelé : « Toumaï Action ». Un autre service appelé Technologie de l’information et de la communication (TIC), le CNRD appelé CNAR à l’époque est le promoteur de l’internet au Tchad. Enfin le service Paléontologie qui nous a conduits à la découverte d’Abel, notre ancêtre. Nous avons plus 25 mille fossiles toutes espèces confondues. Nous faisons la promotion de la spiruline qui permet de lutter contre la malnutrition et la famine.

Parlez-nous des réalisations du Centre ?

Le centre a fait des découvertes ayant permis au pays d’avoir une reconnaissance internationale. Je m’en vais vous parler d’Abel qui est le premier australopithèque découvert à l’ouest  de la vallée du Rift. La découverte d’Abel a chamboulé la recherche paléontologique dans le monde. Autrefois, les gens pensaient qu’à l’ouest de la vallée du Rift les conditions n’étaient pas réunies pour le développement de la vie humaine. Chemin faisant, nous avons découvert Toumaï, l’ancêtre de l’humanité toute entière. Cette découverte a conféré à notre pays une reconnaissance internationale. Nous avons pu classer le Lac Ounianga et le massif de l’Ennedi sur la liste du patrimoine mondial. Cela se fait grâce aux recherches poussées qui se font, toutes sciences confondues, qui permettent à l’équipe sur le dossier de démontrer la valeur exceptionnelle du site pour son classement mondial.

 

Pourquoi la réplique de Toumaï a été remise à la France alors que le Tchad en a besoin pour se valoriser ?

Il y a eu un colloque d’éminents paléoanthropologues de par le monde. Tous ont certifié que Toumaï est le plus vieil hominidé et que le Tchad est le berceau de l’humanité. Pour certifier que Toumaï est l’ancêtre de l’humanité, nous avons remis le moulage de Toumaï à l’UNESCO. C’était d’abord à la demande de la directrice de l’UNESCO, Irina Bokova. Arrivée au Tchad sur invitation du Maréchal du Tchad, Idriss Déby Itno, elle a visité le CNRD, elle a visité aussi son ancêtre, elle en était émue et a demandé que la réplique de Toumaï soit remise à l’UNESCO qui est le temple du savoir. Nous avons remonté l’information et c’est ainsi que le président de la République a remis la réplique main à main devant un parterre d’invités tchadiens et étrangers.

Quels sont les biens matériels et immatériels reconnus et classés comme patrimoine mondial de l’Unesco et quels avantages le pays en tire ?

A ce jour, nous n’avons que deux sites classés sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Mais il y a d’autres qui sont sur la liste indicative. Les recherches se poursuivent, dès qu’on aura trouvé la valeur universelle exceptionnelle d’un bien et qu’on pourra monter un dossier, pour leur éventuelle reconnaissance sur internationale. Nous avons aussi identifié des biens immatériels qui sont sur la liste indicative.  Il y a entre autres le parc de Zakouma, les ruines de Ouara, la forêt poussiérisée de Pala, les sites pétrologiques du Lac Tchad, nous travaillons pour leur classement au patrimoine mondial. Nous avons deux sites au Tchad. Ceux qui disent qu’on en tire rien, ont raison, car à cause de l’insécurité au nord du pays, les touristes ont peur de venir au Tchad. Le tourisme joue un grand rôle dans le PIB d’un pays. Le classement d’un site au patrimoine mondial permet de générer beaucoup d’emplois, de la richesse et  permet de préserver le site pour l’éternité, pour le léguer aux générations futures et confère une reconnaissance universelle à notre pays. Les gens veulent connaitre le pays parcequ’il abrite un site exceptionnel. Si on détruit un site, c’est un crime contre l’humanité.

Comment amener les Tchadiens à s’intéresser à ses sites et aux recherches scientifiques ?

Le Tchad regorge des cadres qu’il faut mettre en valeur. C’est le seul moyen de développer le pays. On ne peut pas développer le pays avec l’agriculture et l’élevage. Certes, ce sont des choses qui participent au développement d’un pays, mais les matières premières à elles seules ne le peuvent pas. Tous les pays développés, le sont grâce à la recherche, la technologie, aux connaissances d’abord. Donc nous devons nous aussi encourager les jeunes, et les hommes des médias ont cette responsabilité d’amener les jeunes à s’intéresser dans ce domaine. Les autorités doivent aussi prêter une attention toute particulière à la recherche. S’il y a des financements, les jeunes vont s’engager.

Quelles sont les spécificités des premiers royaumes et leurs apports dans le rayonnement du pays ?

Nous avons une très belle histoire. Notre pays a connu trois grands royaumes.  Le royaume du Kanem, avant d’être l’empire du Kanem-Bornou, ensuite celui du Baguirmi et celui du Ouaddaï. Nous avons fait une première mission à Ouara dans le Ouaddaï, pour voir les ruines et son éventuel classement dans le patrimoine mondial.  Les recherches continuent, pour le moment, on n’a pas mis la main  sur quelque chose d’important mais on est sûr d’en trouver. Pour le royaume du Baguirmi, on n’a pas encore commencé, mais on le fera. C’était le souhait du Maréchal qui nous a demandé de fouiller toutes les provinces pour trouver des choses qui peuvent grandir notre pays. Pour le Kanem, on a découvert un palais royal datant du 12ème siècle, c’est sans nul doute Njimi, la capitale de l’empire du Kanem, il y a un très bon documentaire sur cette recherche hautement apprécié. Nous souhaitons que les recherches se poursuivent car nous avons aussi prélevé des carottes sédimentaires au Kanem. Comme on dit que l’islam est entré au Tchad par le Kanem, il y a aussi une mosquée qui date aussi du 12ème siècle.  Nous avons beaucoup de choses qui devraient unir les Tchadiens. Le Kanem de l’époque au 9ème siècle s’étendait sur une partie de la Libye actuelle, une partie du Niger, du Nigeria, du Cameroun et de République centrafricaine. Donc cette histoire n’appartient pas seulement au Kanem actuel.  C’est tous les Tchadiens qui sont concernés, c’est vraiment un facteur d’unité, de fierté pour les Tchadiens.

En termes de particularités, décrivez-nous des biens comme la poussière de Bodélé et le massif de l’Ennedi ?

La poussière de Bodélé est exceptionnelle. Elle se soulève de chez nous pour aller jusqu’à la forêt amazonienne. Et cette poussière alimente en partie la forêt amazonienne et l’Antarctique.  Nous savons la quantité et la vitesse de la poussière qui va là-bas, mais nous ne savons à combien  notre poussière intervient pour séquestrer les gaz à effets de serre dans la forêt amazonienne, quand on sait que cette forêt est le premier poumon en termes de séquestration des gaz à effets de serre, nous devons monter un projet Mécanisme développement propre selon le Principe Pollueur-payeur pour que notre pays soit rétribué. Parcequ’on dit si vous polluez, vous devez payer. Mais nous non seulement, on ne pollue pas, on émet une poussière qui vient atténuer la poussière pas seulement à notre niveau mais au niveau mondial. Mais ça demande beaucoup de moyens.

Il y a dix critères pour classer un site. Il faut prendre un seul critère pour montrer qu’un site est exceptionnel. Pour les massifs, on a trois critères, le critère 3 relatif à l’art rupestre, le 7 parle de phénomène naturel remarquable et le 9 met l’accent sur la biodiversité. Le massif de l’Ennedi est classé sur la base des trois critères, chose qui est très rare.

La reine du Guerra est aussi parmi les sites sur la liste d’attente. Jusque-là, on a fait une seule mission mais il reste d’autres missions pour prélever des échantillons afin d’approfondir les recherches pour son classement. Il faut que les Tchadiens arrivent eux-mêmes à découvrir leur pays avant d’attendre les touristes.

Comme dans toutes les institutions humaines, quels les défis et difficultés auxquels vous êtes confrontés ?

On n’a pas les moyens qu’il faut pour mener toutes ces recherches. Nous sommes bloqués sur les quelques sites choisis. Notre ministre qui est un universitaire, et j’espère qu’il va nous soutenir pour continuer à mener ces recherches. Il nous faut des appuis financiers, car il y a des compétences. En tant qu’institution transversale, on peut faire appel aux cadres des universités pour certaines recherches. On n’a pas de laboratoire, il faut aller à l’étranger pour faire des recherches. La vulgarisation des données et résultats demeure un réel défi mais nous avons aussi besoin de l’appui des communicateurs qui doivent valoriser les richesses de notre patrimoine commun.

Interview réalisée par Florent Baïpou

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