« Pour nous, l’indépendance c’est la fin du calvaire et des travaux forcés », Fadel Sokoye Gomdé, enseiganant à la retraite

Agé de 83 ans, Fadel Sokoye Gomdé, est l’un des rares Tchadiens en vie qui a vécu l’indépendance du Tchad, le 11 août 1960. Né en 1940 à N’Djaména, ex Fort Lamy, il est inspecteur de l’Enseignement élémentaire de N’Djaména urbain admis à la retraite en 2002.

Info : Le 11 Août 1960, marque l’accession du Tchad à la souveraineté internationale. Comment vous avez vécu cet évènement ?

Fadel Sokoye Gomdé : Le 11 août 1960, j’étais à Fort-Lamy actuelle N’Djaména. J’avais déjà 20 ans. Je travaillais dans une nouvelle société de la place. Par le biais de la Radio, j’ai écouté que désormais le Tchad est libre et indépendant. Tombalbaye fut Premier ministre et Allahou Tahir président de l’Assemblée nationale. André Malraux, représentant du général De Gaulle avait dit que le Tchad sera ce que les Tchadiens voudront qu’il soit. Cette phrase, je l’ai retenue. Le lendemain était la cérémonie de prise d’armes. Mais il a fallu attendre jusqu’au 11 janvier 1961, pour célébrer l’indépendance avec faste. Les tchadiens de toutes les contrées et de tous les confins étaient invités à la cérémonie. Pour nous, l’indépendance mettra fin au calvaire, aux travaux forcés, à l’esclavage et à l’arbitraire. On pensait qu’on allait être bien et c’est ce qu’on avait cru au début. Mais hélas !

63 ans déjà, il existe toujours des ingérences étrangères qui pèsent sur la souveraineté de la République du Tchad. Cela est dû à quoi ?

C’est une question purement politique. Je n’aime pas trop m’aventurier sur ce terrain mais vous aurez des choses plus graves. Ce qu’il faut savoir, le Tchad est éternel. Quel que soit le problème, le Tchad sera un bon et beau pays.  Actuellement, il y’a la corruption qui gangrène le pays. Il y’a un laisser-aller et un laisser-faire. Les gens ne se soucient pas de l’intérêt général. Il faut d’abord que nous soyons des citoyens responsables. Nous devons aimer le Tchad dans sa globalité pour devenir forts et le servir sans arrière-pensée.

A l’époque, comment les tchadiens vivaient ?

L’homme tchadien est naturellement pacifique entre temps. Les filles et les fils du Tchad vivaient en symbiose, dans un climat pacifique et dans la paix totale. Je suis né dans un village où on attendait avec impatience l’arrivée des éleveurs arabes pour le lait. Dès qu’ils arrivaient, nous fûmes dans un état de gaieté. Quand les arabes venaient avec leurs troupeaux dans un village, ils payaient un forfait ou ils donnaient une vache ou un taureau au chef du village pour que leurs animaux broutent les herbes jusqu’au début de la saison des pluies. Puis, ils repartaient vers le nord. Partout dans les villages et à N’Djaména, les gens menaient en toute tranquillité leurs activités. Les commerçants, les pêcheurs, tout le monde se retrouve au marché et chacun tirait son épingle du jeu. Entre-temps, il n’y avait même pas de conflits intercommunautaires. Même s’il y en avait, cela ne donnait pas lieu bain de sang comme cela se passe aujourd’hui. On réglait les différends à l’amiable.

Peut-on dire qu’il y a une différence entre les tchadiens de 1960 et ceux de la génération actuelle sur les plans intellectuel, social et culturel ?

Tout n’est pas mauvais. J’écoute régulièrement la radio, il y a des intellectuels qui s’expriment parfaitement bien. Il y a en a d’autres qui parlent très mal. Dans une société, il y’a toujours des ratés tout comme des bons. Aujourd’hui, le mal est que l’Etat a ouvert la vanne à tout le monde. Tout le monde entre et tout le monde y va. Avant, ce n’était pas comme ainsi. Ne vont au sommet que ceux qui sont capables. Ceux qui sont limités, ils apprenaient d’autres choses. Dans les années 1960 à 1970, le gouvernement avait créé des écoles pilotes pour permettre à ces derniers d’acquérir des connaissances sur l’élevage, la ferme, le bois, le fer et le jardinage. Les enfants qui n’arrivaient pas à aller au cycle secondaire étaient orientés dans la vie productive et se prennent en charge. Ces écoles pilotes étaient encore à titre expérimental. On devait généraliser dans tous les établissements mais la guerre de 1979 a tout chamboulé. Le Tchad se retrouvait avec 12 tendances et tous les fonctionnaires étaient rentrés chez eux.

Malgré le salaire dérisoire des fonctionnaires d’antan, il y avait une motivation considérable. Pourquoi ce n’est pas le cas aujourd’hui ?

Le salaire n’était pas dérisoire à l’époque. La vie était simple et moins chère. Un instituteur gagnait 33 000 F CFA et un moniteur percevait 14 000 F CFA. Le sac de mil coûtait 1000F et le kilo de viande faisait moins de 100 FCFA et achetait un poulet 75 FCFA. Il y avait la laïcité dans les différents établissements. Par exemple : le collège de Bongor recevait les enfants issues de toutes les régions du Tchad. Ces enfants passaient le concours et seulement 45 élèves sont retenus pour l’ensemble du territoire national. Chaque élève retenu avait une bourse de 9000 F et cette somme était gérée par un économe. En plus 40 FCFA supplémentaires à chaque enfant pour l’envoi des courriers et les timbres.

Quelle lecture faites-vous par rapport au système éducatif actuel ?

L’Etat, à un moment donné, a fait de l’éducation la priorité des priorités. Mais maintenant, il y’a un laisser-aller et laisser-faire. Beaucoup d’écoles privées ont surgi. Les établissements privés en arabe ou en français poussent comme des champignons. L’Etat ne se préoccupe plus de la qualité de l’éducation. A l’époque, les écoles dans les régions manquaient d’enseignants et l’Etat en a formé une catégorie qu’on l’appelait les « maitres bénévoles » mais aujourd’hui le gouvernement a aggravé le système avec l’histoire des maitres communautaires pour accentuer davantage la baisse de niveau.

Entre-temps, il y avait un ministre de l’Education nationale qui avait pris l’initiative pour résoudre le problème du système éducatif tchadien en créant partout dans les régions notamment à Biltine, Faya, Abéché, Mongo, Bongor et Moundou, des écoles nationales normales. Mais les produits de ces écoles nationales n’ont pas été utilisés. Ces jeunes formés à l’époque, étaient abandonnés à leur triste sort. Pourquoi aujourd’hui, l’Etat recrute des maitres communautaires ? On devait tout simplement prendre ces jeunes qui étaient formés dans les écoles normales, les intégrer et les affecter.

Quelle différence faites-vous entre les enseignants d’antan et ceux d’aujourd’hui en termes de compétences?

A l’époque, l’Etat ne recrutait que les enseignants les plus intelligents. Les élèves les plus intelligents sont aussi orientés vers les métiers d’enseignement. L’enseignement est vraiment un métier ingrat.  Nous avions épousé cette profession par vocation et mérite et voilà c’est la pauvreté perpétuelle que nous avons épousée. Aujourd’hui, les gens veulent être des administrateurs et intégrer les services promoteurs. L’enseignement aujourd’hui est simplement abandonné.

Que doit faire le gouvernement pour que l’enseignement retrouve ses lettres de noblesse ?

Aucun pays ne peut se développer sans un système éducatif fort. L’Etat doit placer les hommes qu’il faut à la place qu’il faut. Il faut envoyer partout dans les villes les jeunes formés qui sont au chômage au lieu de recruter les maitres communautaires qui ne sont plus utiles pour le système éducatif tchadien.

Interview réalisée par Abakar Gombo Doungous

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